Quand Joël M’Maka TCHEDRE décide de nous emmener en voyage, ce n’est pas à bord d’un avion, ni d’une voiture, mais sur les rails d’un passé qui semble à la fois proche et lointain. « Cent Douze », son premier long métrage documentaire, est une balade mélancolique et pleine de nostalgie à travers une des histoires ferroviaires post-coloniales du Togo. Le film commence avec des sons de trompette évoquant les sifflements et hennissements des trains, nous plongeant instantanément dans une atmosphère où chaque note semble réveiller les souvenirs d’une époque révolue.
Le film s’ouvre sur une scène en noir avec le son envoûtant de la trompette. Ces notes initiales rappellent les sifflements des vieux trains à vapeur, nous transportant dans un temps où le chemin de fer était le cœur battant du commerce et des voyages au Togo. Sanvee Beno Aluwassio, doyen des comédiens togolais, prête sa voix au projet, donnant vie aux histoires de Cent Douze avec une chaleur et une autorité qui captivent immédiatement.
La ville au centre du documentaire n’existait pas avant que la France ne décide en 1930 de relancer les projet de rallongement des lignes ferroviaires togolais initiée par l’Allemagne. Ce projet ambitieux, bien que financièrement lourd, a transformé une région inexplorée en un hub commercial florissant. Le film nous raconte cette transformation à travers des témoignages vibrants et des images d’archives poignantes. On découvre une communauté diverse, unie par le train, où les Losso, Tem-Kotokoli et bien d’autres ethnies ont trouvé une terre d’accueil, symbolisant “Le Togo en miniature”.
Les souvenirs des témoins, en grande majorité âgés, sont d’une richesse inestimable. Ils nous racontent l’histoire de Cent Douze, de sa naissance à son déclin. Les images des anciennes gares, des baobabs fétiches et des tickets de train jaunis par le temps, nous plongent dans une époque où le train était bien plus qu’un simple moyen de transport. Il était le lien vital entre les communautés, le moteur du commerce et le témoin des interactions sociales.
Le film de Joël n’est pas seulement une œuvre nostalgique, c’est aussi un hommage à ceux qui ont fait vivre cette époque dont beaucoup de femmes. On ressent une profonde mélancolie dans la voix de Sanvee Beno qui conte l’histoire, comme un griot moderne qui veille à ce que les jeunes générations n’oublient jamais d’où elles viennent. Les sonorités et les lieux de tournage sont autant d’éléments qui nous rappellent l’authenticité et la beauté de cette époque révolue.
Ce qui rend ce film particulièrement poignant, c’est l’implication des femmes dans sa réalisation. Joël TCHEDRE a été assisté par trois femmes extraordinaires, chacune apportant une sensibilité unique et une profondeur narrative au projet. Clotilde Bertet,
réalisatrice documentaire et consultante en communication ( clotildebertet.com ). Plus: Yassira Dermane Adam et Rachel Kpizing, des jeunes auteures réalisatrices spécialisées dans le film documentaire.
Anita Afatchao, coordinatrice du projet Moving Beyond au Togo, directrice de production de ce film, et les trois assistantes de Mr TCHEDRE, démontrent que le documentaire peut être un métier de vie, un moyen puissant de transmission culturelle. Leur engagement et leur passion se ressentent dans chaque image, chaque entretien, chaque détail méticuleusement capturé.
Joël M’Maka TCHEDRE n’est pas un novice dans le domaine. Son parcours académique et ses nombreux prix pour ses courts métrages autant en qualité de réalisateur que de producteur, témoignent de son expertise et de sa capacité à toucher les cœurs à travers ses récits. Avec ce nouveau film, il nous offre une réflexion sur la fragilité des projets humains et les conséquences des décisions politiques sur la vie des gens “ordinaires”.
En regardant ce film, on ne peut s’empêcher de se poser des questions : Pourquoi un arrêt aussi brutal d’un projet si prometteur ? La France a-t-elle joué un rôle dans ce déclin ? Est-ce juste une mauvaise gestion locale ? Ou est-ce que les routes ont simplement pris le dessus sur les rails ? Tant de vies et de commerces brisés, et pourtant, Les Cent Douze kilomètres de rails ont laissé un héritage que nous chérissons encore aujourd’hui.
« Cent Douze » est bien plus qu’un documentaire. C’est une lettre d’amour à un passé oublié, un rappel de l’importance de nos histoires collectives et une célébration des femmes et des hommes qui ont façonné notre présent. Mr TCHEDRE et son équipe nous rappellent que, même dans l’abandon, il y a de la beauté à retrouver et des histoires à raconter.
Alors, la prochaine fois que vous entendrez une trompette, fermez les yeux. Peut-être entendrez-vous les échos de Cent Douze, ces trains qui ont un jour traversé le cœur du Togo, laissant derrière eux à travers le gris de leur fumée des souvenirs indélébiles et une histoire que nous avons le devoir de préserver.
Ce film en 65 minutes aura sa toute première projection publique ce mercredi 10 Juillet 2024 dans l’auditorium de l’Institut Français du Togo dès 19h00. Pour y réserver gratuitement la place, il suffit simplement d’envoyer “CENT DOUZE” par whatsapp au 92400600.
Kosi Sessi