À près d’une demi-journée de route de la capitale Antananarivo, Ambalona, village isolé, niché au milieu des collines du district de Mananjary à l’est de Madagascar, 80 % des habitants vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Difficile en effet de trouver des revenus stables et une alimentation régulière quand les champs sont régulièrement balayés par de violents cyclones qui anéantissent les récoltes.

Il y a quelques années, la plupart des hommes actifs quittaient cette zone presque exclusivement rurale pour chercher du travail ailleurs. C’est le cas de Andriamananjo Tokiarinivo Santatriniaina, dit « Toky », 34 ans, qui enchaînait les « petits boulots », mal payés, loin de sa famille. « Ici, c’était vraiment dur avant. Beaucoup d’hommes migraient pour tenter de se construire une vie ailleurs, loin de leurs familles. On partait pour essayer de gagner de l’argent en tant que travailleur saisonnier dans les grandes villes notamment », soupire ce père de famille de deux enfants. Si cette trajectoire est restée longtemps la règle dans les foyers ruraux malgaches, elle est aujourd’hui, en voie de disparition à Ambalona depuis que la ferme d’Aromatsara s’y est implantée il y a cinq ans. « Pour moi, c’est une vraie chance. Au début, j’étais parmi les ouvriers pour la construction du hangar et puis, lorsque le travail de construction a été achevé, j’ai été embauché comme ouvrier agricole », sourit Toky.

Derrière la ferme d’Aromatsara, se cache un projet entrepreneurial innovant mené par sa fondatrice, Ranjatiana Randriantsara. Cette quadragénaire, doctorante en anthropologie, s’est reconvertie dans la production d’huiles essentielles et de produits dérivés après une carrière inspirante aux Nations unies. En 2019, Ranjatiana Randriantsara décide d’établir une ferme au milieu de nulle part. « J’ai fait le choix de retourner à la terre pour donner du sens à ma vie. Être avec la communauté, toucher la terre, avoir des résultats palpables pour elle, ça procure vraiment un sentiment d’appartenance et de solidarité. Je trouve aussi que le travail d’agriculteur est le plus noble parce qu’il permet de nourrir tout le monde et avec l’aromathérapie, il permet également de soigner et d’apporter du bien-être à tous », affirme la jeune dame qui préfère être appelée du diminutif de Ranja.

Derrière la ferme d’Aromatsara, se cache un projet entrepreneurial innovant mené par sa fondatrice, Ranjatiana Randriantsara.

Derrière la ferme d’Aromatsara, se cache un projet entrepreneurial innovant mené par sa fondatrice, Ranjatiana Randriantsara.

Une ferme quasi-autonome

Sa ferme est quasi-autonome. La matière première comme la vanille, la cannelle, la maniguette, le poivre, le miel, le girofle, etc., est cultivée puis transformée sur place. Les plantes aromatiques médicinales ainsi que les épices sont ensuite distillées avant que l’eau florale soit séparée des huiles grâce à un essencier. Ensuite, Ranja se charge elle-même de créer les produits dérivés.

Jamais sans son « livre de recettes », rédigé au fil des années et des rencontres. Elle créé des savons, des baumes, des huiles de massage et des sirops. Aujourd’hui, l’entreprise prend son envol en touchant une clientèle malgache comme internationale. Du Canada au Japon, en passant par le Sénégal et la France, les huiles essentielles d’Aromatsara s’arrachent comme de petits pains. Elle emploie désormais sept ouvriers agricoles et vingt saisonniers pour un chiffre d’affaires fluctuant entre 10 000 et 15 000 dollars par an.

Au-delà des emplois directs créés, Ranja met aussi un point d’honneur à protéger les enfants du village. La petite start-up de l’agri-business finance la scolarisation des enfants du village et met à la disposition de ses employés des parcelles pour qu’ils puissent y pratiquer à la fois une petite agriculture de rente et vivrière.

Maintenir un business rentable et dynamique n’empêche pas Ranja d’investir dans l’humain, et de se projeter sur le long terme par la création d’un écosystème propice au développement de tous. « Ce travail me permet de rester ici m’occuper de ma famille, et j’en suis heureux », se réjouit Tiko devenu le bras droit de Ranja.

Pourtant la réussite d’une aventure entrepreneuriale n’est pas donnée. Comment Ranja a-t-elle pu mettre sur pied un projet à la fois prospère et vertueux ? La réponse tient en cinq lettres : PEJAA, acronyme du Programme de promotion de l’entrepreneuriat des jeunes dans l’agriculture et l’agro-industrie. Lancé en 2019, le programme bénéficie d’un financement de 8,19 millions de dollars de la Banque africaine de développement.

Pour former les futurs entrepreneurs, le gouvernement de Madagascar a mis sur pied trois centres incubateurs pour des formations en management, gestion, comptabilité, études de marché, mais aussi en techniques propres à l’une des dix chaînes de valeur visées par le programme. En parallèle, grâce au projet, les jeunes agri-preneurs bénéficient d’accompagnement personnalisé grâce à un système de mentorat. Enfin, un accès facilité au crédit leur permet de démarrer leur activité. « J’aurais aimé avoir ce programme dix ans plus tôt. Je sais que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre », confie Ranja, le regard tourné vers l’avenir.

Depuis le lancement du programme, 409 jeunes agri-preneurs ont été formés et 350 entreprises ainsi que 1 750 emplois directs ont été créés.

Pour Cheick Diarra, représentant de Madagascar pour l’Institut International d’agriculture Tropical, ce soutien a été la clé de la réussite du programme. « Sans ce financement, on aurait eu des jeunes diplômés sans emploi, des entreprises qui risquaient de déposer le bilan tout simplement faute d’accompagnement, de formation et de coaching. C’est la Banque africaine de développement et le gouvernement de Madagascar qui ont permis de mettre en place ces éléments », rappelle M. Diarra.

En vue de permettre une stabilité et une pérennisation des entreprises, le Groupe de la Banque africaine de développement a appuyé, avec un financement de 1,4 million de dollars, un programme complémentaire à PEJAA, le Business Linkage Program, lancé en 2021. Ce programme, déjà présent au Ghana et au Sénégal permet aux micros, petites et moyennes entreprises (MPME) de maintenir et d’accélérer leur croissance.

À l’image du Programme de promotion de l’entrepreneuriat des jeunes dans l’agriculture et l’agro-industrie, le Business Linkage Program dispense des formations en culture entrepreneuriale et managériale pour renforcer les compétences des chefs d’entreprise. Par la suite, il met l’accent sur l’accès aux marchés à travers une plateforme numérique, Mada Business Linkage4. Lancée en 2023, cette plateforme crée des opportunités commerciales en mettant en relation les MPME avec les grandes entreprises.

Faciliter l’accès aux crédits

Des partenariats ont d’ailleurs été signés avec des banques locales pour faciliter l’accès au crédit des entreprises concernées. Et les résultats sont sensibles puisque les 198 entreprises concernées par le Business Linkage Program ont vu leurs effectifs augmentés en moyenne de 21 % et leurs bénéfices multipliés par quatre.

Pour Sarah-Marie Vololompanahy, l’adhésion aux deux programmes (PEJAA et BLP) a constitué un véritable tremplin pour son entreprise, Vatsy Soa, spécialisée dans la distribution des intrants agricoles autour de Betafo, au centre de Madagascar. « Sans les deux programmes, j’aurais eu des difficultés. J’ai pu développer mon entreprise en créant cinq autres petites boutiques pour être plus près des paysans et désormais, je peux acheter et vendre dans tout le pays », se félicite-elle.

Pour Sarah-Marie Vololompanahy, l’adhésion aux programmes soutenus par la Banque africaine de développement a constitué un véritable tremplin pour son entreprise Vatsy Soa, qui vend des intrants agricoles autour de Betafo, au centre de Madagascar.

Pour Sarah-Marie Vololompanahy, l’adhésion aux programmes soutenus par la Banque africaine de développement a constitué un véritable tremplin pour son entreprise Vatsy Soa, qui vend des intrants agricoles autour de Betafo, au centre de Madagascar.

Grâce à ces « postes avancés », la jeune agripreneuse a vu son chiffre d’affaires s’accroître. En embauchant, cette vétérinaire de formation, consacre désormais plus de temps pour donner à Vatsy Soa une dimension sociale et environnementale plus importante. « Mon activité n’est pas seulement commerciale, je descends sur le terrain pour apporter un appui aux paysans en les conseillant afin qu’ils puissent vivre décemment de leur métier. Par mon travail, je dois jouer un rôle pour développer mon pays », précise Sarah-Marie Vololompanahy.

Ainsi, dans les campagnes malgaches, les lignes bougent et pour les acteurs du PEJAA comme Cheick Diarra, tous les rêves sont désormais permis. « Madagascar regorge de talents et devrait être le pionnier dans l’océan Indien en termes de production alimentaire et pourquoi pas pour exporter. Pour moi, voir effectivement ces jeunes gens motivés avec des idées innovantes sont une motivation pour contribuer aux objectifs de développement du pays », conclu Cheick Diarra.

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