Au-delà des gros titres : les femmes journalistes soudanaises prennent la parole au milieu du conflit et du silence

Selon le Réseau des femmes journalistes soudanaises, 90 % des femmes journalistes ont perdu leur emploi, et 89 % ont été déplacées.

« J’étais autrefois une présentatrice populaire — aujourd’hui, je fais le ménage pour 12 dollars par mois. »

Ce témoignage poignant fait partie de nombreux récits partagés lors d’une session forte co-organisée par le bureau de l’ONU Femmes au Soudan et le collectif féministe Nala, engagé dans l’initiative Génération Égalité, dans le cadre du Forum des Médias et des Engagements Génération Égalité. Cette session a exploré le rôle des médias dans la promotion de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité (FPS) au Soudan. Tenue sur fond de conflit armé toujours en cours, elle a rassemblé les journalistes soudanaises, spécialistes de la communication et défenseurs de la paix pour analyser les représentations médiatiques, identifier les lacunes et encourager des reportages plus inclusifs et sensibles au genre. Le dialogue a également mis en lumière les défis auxquels font face les femmes journalistes et souligné l’urgence de leur protection et de leur soutien.

Marginalisation des médias et silence des voix féminines

Une grande partie des échanges s’est appuyée sur une évaluation menée par Alalag Media Press, avec le soutien d’ONU Femmes Soudan. Les intervenants ont noté que les médias soudanais continuent de se focaliser essentiellement sur les processus politiques et les élites, reléguant souvent au second plan les récits féminins et l’impact plus large de la guerre sur les femmes et les filles. Les reportages sur les violences sexuelles et sexistes (VSS), le leadership féminin et les efforts de paix restent rares. « Les femmes sont actives dans la construction de la paix, mais rarement mises en avant dans le récit médiatique », a souligné un intervenant. « Et quand les violences sexuelles sont évoquées, c’est souvent de manière superficielle, sans suivi ni prise en compte des survivantes. »

Le lourd tribut du conflit pour les femmes journalistes

Depuis le déclenchement de la guerre en avril 2023, presque toutes les institutions médiatiques locales ont fermé. Au fur et à mesure que le conflit s’est étendu aux villes et salles de rédaction, les femmes journalistes ont dû fuir, se cacher ou abandonner complètement leur travail.

Selon le Réseau des femmes journalistes soudanaises, 90 % d’entre elles ont perdu leur emploi et 89 % ont été déplacées — soit à l’intérieur du pays, soit vers les pays voisins. Beaucoup ont subi des violences directes, du harcèlement et des menaces simplement parce qu’elles sont journalistes. Une journaliste raconte : « J’ai été détenue et harcelée pendant trois jours en traversant les frontières entre les États. Je n’avais même pas l’argent pour quitter mon domicile en sécurité. » Une autre confie : « Mon frère cadet m’a empêchée de sortir. Il pense que le journalisme est honteux. » Privées de revenus et sous pression familiale croissante, ces anciennes voix respectées des communautés se retrouvent désormais réduites au silence et isolées.

Obstacles à l’inclusion et rôle des acteurs internationaux

La session a aussi abordé le décalage entre les acteurs humanitaires internationaux et les médias soudanais. Alors que beaucoup d’agences internationales produisent leurs propres contenus, elles le font souvent sans impliquer les médias locaux — en particulier ceux dirigés par des femmes.

Les participantes ont insisté sur l’importance d’intégrer les femmes journalistes soudanaises non seulement comme narratrices mais aussi comme actrices centrales pour garantir la transparence, la responsabilité et une construction de la paix inclusive.

Recommandations pour l’action

La session s’est conclue par plusieurs recommandations, notamment investir dans le renforcement des capacités médiatiques dans les contextes humanitaires, en formant particulièrement les femmes journalistes à un reportage éthique sur les violences sexuelles et les processus de paix. Le soutien à l’autonomisation économique des journalistes réfugiées et déplacées a également été souligné.

Les participantes ont appelé à la création de plateformes médiatiques dirigées par des femmes et d’espaces de narration en ligne pour amplifier les voix féminines pendant les conflits. La mise en place de mécanismes sûrs de signalement — y compris des lignes d’écoute pour les survivantes de violences sexuelles et l’accès à des services de santé mentale — a aussi été encouragée.

« Il ne suffit pas d’enregistrer la violence », a déclaré une participante. « Nous avons besoin de médias qui aident à réduire la stigmatisation, apportent la guérison et soutiennent le changement. »

Solidarité régionale et appel à l’investissement

Des médias d’Afrique de l’Est et australe, présents au Forum des Médias Génération Égalité, ont promis d’offrir leurs plateformes pour les récits des femmes soudanaises — un moment émouvant de solidarité. Cela illustre le pouvoir unique de Génération Égalité à rassembler pour une action collective, le plaidoyer et le dialogue intergénérationnel.

ONU Femmes appelle ses partenaires à renforcer les investissements en faveur de la liberté des médias et du journalisme sensible au genre au Soudan. Les femmes journalistes ne sont pas seulement des messagères — elles sont des témoins, des porteuses de vérité et des bâtisseuses de paix. Leur sécurité, leurs voix et leurs droits doivent être protégés à tout prix.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *